Premier jour en quatre lignes

 

Qui étais-je en quatre lignes ?

« Je m’appelle Jean, Georges, Thierry.

Je suis un homme comme on dit.

Je viens d’un océan si tranquille.

J’ai deux ailes au milieu d’une île. »

Deux ailes pour m’envoler au bord d’un lac.

Le lac d’Alphonse de Lamartine.

Un rayon de soleil.

Soleil d’une fin de journée.

Miroir.

L’ananas d’une île.

« O, temps, suspends ton vol ! » (1)

Partager un instant.

Premier jour d’une vie.

J’étais né.

Eblouissement de beautés.

Vagues de la Terre.

J’étais bien incapable de nommer ce que je voyais.

Juste m’en émerveiller.

Nouveau-né, j’étais né à l’inconnu d’une vie.

Un corps m’était offert.

Mon corps pour aimer ce monde.

L’embrasser.

Communier à sa splendeur, sa douceur.

« Eau si paisible,

Eau, mon amie,

Me désaltérer à ta source ! »

Grandir comme un enfant.

Parcourir deux lettres.

Le chemin de grande randonnée.

Ses flèches rouges et blanches entravées par une retenue.

Un immense barrage de béton.

Trouver la fissure.

M’y glisser.

Derrière, un théâtre antique bucolique m’ouvrait son coeur.

Des prés et des vaches.

Des vaches et des chevaux.

Des chevaux et des chèvres.

Un carrefour.

Une croix en pierre.

De vieilles maisons qu’on rebâtissait.

La campagne de l’amour discret.

O vie, o liberté, que je t’aimais !

Présent passé.

A l’aube des marais, ce banc m’attendait.

Un banc pour contempler à la surface de l’eau le vent de cette vie fabuleuse.

Silence du temps infini.

Quand, un coup de feu brisa la paix d’un instant retrouvé.

Fuire ou rester?

La silhouette surgissait, brandissant son fusil.

Le chien se précipita, aboya, flaira la bête abattue.

L’homme au loin. Le coupable.

Je le regardais dans les yeux. Au fond de ses yeux perdus.

Un homme comme on dit.

Il baissa son fusil, vaincu.

L’oiseau s’était envolé.

Je respirais.

Il en avait fallu de peu.

Mon coeur avait tremblé au premier jour fragile de sa vie sur un banc au-dessus de l’eau scintillante.

Je cherchais le chemin du retour.

Retrouver ma main pour deux mains. Un pont tendu sur le lac.

Une main offerte à la tendresse d’un poème au-delà des retenues, des barrages des hommes, des nomades chasseurs, tueurs d’oiseaux.

Je cueillais le reflet du ciel, de ses yeux éternels. Un lac. Une île et deux ailes.

Premier jour d’Icare.

Les rayons du soleil caressaient mon visage et ses larmes.

« Qui suis-je ?

Qui es-tu, mon reflet?

Qui sommes-nous, nous deux, au bord de ce monde ? »

Balbutiements de mots et de notes.

Solitudes enlacées.

Partager un « ça me dit ensemble ». Diversité et richesse des êtres.

Premier jour, ce cadeau de la vie, des rencontres.

Croisements.

L’humanité au choeur rassemblé dansant sa joie d’être ensemble.

Premier soir d’un dimanche.

France Culture.

Jean Vilar.

Correspondances.

Des voix.

Place de la Nation.

« Qu’est-ce qui avait changé? »

C’était son anniversaire ce soir.

Des chants.

Des chants au fond de son coeur berçaient son âme.

« La couleur de mes rêves » d’Anne Markyse.

Le livre de mon anniversaire.

Je m’étais offert ce présent pour marcher vers demain.

« Une île au large de l’espoir… » (2)

Thierry Rousse

Dimanche 3 octobre 1967

« A la quête du bonheur »

  1. Alphonse de Lamartine; « Le lac »

  2. Jacques Brel, « Une île »

Le théâtre d’après

 

Les chiffres le disaient et il n’y avait plus rien à dire.

« Tout débat était aboli ». (1)

Lit de silence.

Anse du vide.

Vague souvenir d’une ferme à l’idéal dévié.

Panier d’oeufs écrasés.

Une voix unique régnait sur les sièges de velours des gradins du château du Roi Soleil.

Sable pyramidal.

Egrainé au-dessus de ma tête en l’air de rien.

Tout drapeau d’opposition s’était rallié à la grande cause du Grand Chef Haut protecteur de nos peaux rouges.

Les chiffres étaient diffusés chaque matin sur France Culture à l’heure de ma douche froide.

Huit morts sur dix de la Covid n’étaient pas vaccinés.

Qui pouvait me prouver que ces chiffres correspondaient à la réalité ?

Qui pouvait me certifier que ces personnes hélas disparues ne souffraient pas d’une autre maladie mortelle ?

Qui ?

Qui était encore en accord avec lui-même ?

Qui osait encore parler, douter, chercher, questionner, s’interroger ?

Où était le réel ? Où était l’illusion ? Jeux de miroirs? Jeux de tromperies ?

Une voix enregistrée, payée pour dire ce qu’elle devait dire. Un texte appris par coeur et si joliment interprété. Une comédienne talentueuse et malheureuse. Un art vivant sous la botte de notre Roi. Un théâtre entre cour et jardin diffusé sous très haute sécurité.

La Cour communiquait sur ce qu’elle avait envie de communiquer et se gardait bien de parler des chiffres qui la dérangeaient. La liste pouvait être trop longue, trop coûteuse, trop dangereuse pour sa couronne. Le nombre de lits à l’hôpital. La hausse des températures. Les dépenses superflues. L’écart inadmissible des revenus. Le nombre de forêts dévastées. Tous ces animaux tués dans d’atroces souffrances. Tous ces animaux qu’on venait déloger de leur habitat naturel. Toutes ces maladies provoquées par la folie de certains êtres cupides ne jurant que par une croissance sans limites…

Le projet de loi serait voté. Il passerait à la majorité. Les dés étaient déjà joués puisqu’il n’y avait plus aucune opposition parmi les sièges du Château.

Des dés truqués.

Des chaises trouées.

Députés dépités endormis.

Plans de carrières.

Sièges déserts de voix qui s’étaient tues à petits feux.

Le pass partout serait reconduit jusqu’à l’été prochain.

Je ou moi ?

Sans siège, sans pass partout, debout entre cour et jardin.

L’accès m’était interdit dans les théâtres, les musées, les cafés, les restaurants, et il m’était permis de voir mon père dans sa chambre de l’Ehpad que par l’intermédiaire d’un écran en visio conférence.

Combien de temps survivrais-je à cette sentence sur les braises consenties du silence ?

Me faire piquer pour rentrer dans le rang et gagner ma liberté ?

Quel délit avais-je commis pour être ainsi puni ?

Privé de liberté. Etre dangereux pour mes proches ? Pestiféré ? Ecrit sur mon front ? L’air que j’expirais ? La caresse de mes mains croisées, hautement nocive ?

Finirais-je tout seul au fond d’un couloir ? Hôpital désert. Implorerais-je la mort de m’accueillir dans ses bras chaleureux ? Je l’aimais déjà cette belle dame comme une porte de secours, comme la sortie d’un cercle infernal construit un été devant l’Opéra Graslin. Je voyais maintenant ses engins qui brisaient cette arène de béton. Je mesurais le coût de cette oeuvre d’art éphémère et de son utilité. Apprendre aux gens à tourner en rond ? Un réflexe presque acquis en ce début d’automne. Ou prendre conscience qu’on nous faisait tourner en rond ? Observer de l’autre côté du miroir ce que nous étions devenus. Ou, briser le miroir ? Regarder ailleurs ?

« Derrière la saleté… il nous faut regarder ce qu’il y a de beau, le ciel gris ou bleuté, les filles au bord de l’eau, l’ami qu’on sait fidèle, le soleil de demain, le vol d’une hirondelle, le bateau qui revient ». (2)

J’étais né en 1967. Le mouvement Hippie prenait racine. Un signe ?

J’avais perdu depuis mes vingt ans ma barbe et mes longs cheveux blonds. Les ciseaux tranchants de la société étaient passés par là. Il me restait encore quelques mots pour exister. Quelques mots et quelques dents.

Pour combien de temps ?

Temps ensoleillé. Je préférais les pluies des rivières libres et heureuses. Etre le cancre au fond de sa classe. Bonnet d’âne si charmant, vivant au rythme de sa propre vie.

« Il dit oui à ce qu’il aime » (3).

Je croyais en la fraternité du théâtre, à ce qu’on nous faisait croire au lycée, de cette grande famille, de ces si beaux textes qui embrasaient mon coeur, un « Opéra de quatre sous ».

Mais la porte était étroite dès lors que je voulus en faire mon métier, tombé sous le charme de ses rideaux rouges. Il n’y avait pas de place pour tout le monde. « D’où venez-vous ? On vous connaît ? ».

Je partageais mon ressenti lors d’une rencontre, un dimanche de septembre. Une fin de journée au fond d’un hangar. Ouvrir un horizon entre les fissures du béton. La directrice du Grand T et le directeur du Lieu Unique m’écoutaient attentivement. Ils décidaient de laisser la conclusion à mes paroles. J’en fus si touché, reconnu peut-être au milieu de cette assemblée. Etre invisible, je me sentais, soudain, exister. Tout était à faire. Retrouver un théâtre que j’avais vu naître en Grèce. La raison de son existence au coeur de la Cité. Lieux de débats, forum de paroles, place publique de révoltes, jardin d’éblouissements, de caresse, de tendresse, cour d’indignations, rue libre des rêves.

Mon corps était ma voix. Ma voix était mon coeur.

Ces pensées me traversaient comme des nuages blancs immortels : « C’est parce qu’on rêve d’un autre monde qu’un autre monde est possible ».

La vérité. La vérité… Quelle vérité ? Cette conformité entre ce que je disais, ce que je pensais, ce que j’étais.

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 29 septembre 2021

« A la quête du bonheur »

  1. George Orwell, « La ferme des animaux »
  2. Jacques Brel, « Il nous faut regarder »

  3. Jacques Prévert, « Le cancre »

Le pass poétique du faire ailleurs

 

Il était là, assis sur un tabouret. Balaise le gars. De gros muscles tatoués. Le genre rebelle qu’on n’embête pas. Le genre qui trace sa vie comme il l’entend. Tend à ce qu’il désire. Assis sur un tabouret, là, à cette heure, le métalleux du Ferrailleur de l’Hangar à Bananes. Moi, je contournais son tabouret et m’approchais à pas de loup de son bar. « Votre pass, vous avez votre pass ?  » m’interpella alors le gars balaise aux gros muscles insoumis juste derrière mon dos. Je me retournais, un silence, un regard, un vide entre nous, je compris, et fis demi tour ailleurs vers l’air libre de l’estuaire. Le vent du large soufflait dans mes yeux.

Ecouter un concert de Métal à la terrasse du Ferrailleur à l’heure de l’apéro, au bord de la Loire, un samedi soir, ça pouvait soulager, faire du bien. Un rock puissant qui vous pénètre. Le genre de musique et de mots qui se moque des lois, les conteste, les renverse. Et pourtant. Ne pouvaient boire un verre à cette terrasse et être assis que les titulaires d’un pass partout. Je restais tout au bout, debout. Encore debout. Eloigné. A la main, le verre de mes derniers espoirs brisés. Mon coeur saignait.

Plus rien ne me semblait cohérent dans cette société. Les gros muscles tatoués m’apparaissaient vides de tout sens, hormis l’apparence, quelques délices illusoires. Je voyais les têtes métalliques hochant les unes après les autres soumises au Roi Soleil. Les deux chanteurs et musiciens aux longs cheveux hirsutes de Toulouse la ville rose antique avaient beau chanter leur révolte, tout sonnait faux à cette terrasse gardée par le gars balaise au tabouret bien raide. Le Roi omniprésent jetait un divertissement à ses captifs heureux, un semblant d’anarchie pour leur faire croire qu’ils étaient toujours libres de leurs actes.

Mascarade. Hypocrisie. Manipulation. L’élite minoritaire gouvernait les masses à la carotte, savait ce qu’elles désiraient, agitait leurs besoins comme un sucre qu’on montre à son chien.

Gens des masses, il nous restait à faire les beaux, être dociles pour obtenir ce que nous aimions, ce qui réjouissait nos sens à l’heure de l’apéro. Accepter cette piqûre pour obtenir ce pass partout, ce Graal qui nous ouvrait les portes de la liberté et des réjouissances, nous protégeait d’un mal engendré par la folie des laboratoires, ces laboratoires qui fabriquaient la maladie puis son remède.

Mon corps criait au crime de sa nature.

A l’entrée, pourtant, étrangement, du Centre Commercial Moche Lieu, nul pass partout n’était demandé. Tout était permis à nos envies quand il s’agissait d’enrichir le Roi et sa Cour.

Il me restait un point d’interrogation au bout de  cette île.

Prendre le bateau d’un pass poétique.

Faire ailleurs.

Etre ailleurs, sur une butte.

Fuir l’absurdité, les mensonges, le matraquage des consciences.

Retrouver un sens à ma vie.

Une vérité.

Sur le tronc d’un arbre.

Thierry Rousse

Nantes, samedi 25 septembre 2021

« A la quête du bonheur ».

Le réveil chinois

 

Il était là. Tout bleu. Tout rond. Là sur ma table basse rectangulaire, un cercle presque parfait devant les yeux de mon canapé rouge. Las, fatigué peut-être. Ce réveil ou ce regard. Ce réveil des yeux éteints, épuisés, allongés, rougis par les larmes. Qui l’avait fabriqué ? Quels doigts habiles ou contraints ? Oppressés ? Juvéniles ? A peine, un jour. Pourquoi être allé si loin ? Si loin pour un réveil chinois ? Une muraille de vent. Et déjà, arrêté. Effondré. Plus de temps. A peine remonté. Le mécanisme s’était grippé. Signe des temps ? Pour quelle économie d’argent, quelle dépense de temps ?

La raison. Une nuit à la Fête de l’Humanité. Mon sac fouillé. Tout près de moi. Endormi. Rien entendu. Qui m’avait volé, cette nuit, mon identité ? Quel inconnu désirait prendre ma place dans ce vaste monde ? Je n’avais plus rien que mon corps égaré, que ma tête éperdue dans ces allées au matin d’une fête gâchée. L’Humanité était au rendez-vous dans ce qu’elle avait de plus beau et de plus laid. Qui appellerais-je maintenant ? Mon téléphone était, dès lors, entre les mains de cet inconnu. Une part de ma vie envolée, de mes messages reçus et envoyés, de mes photographies, vidéos et contacts… Heureusement Google possédait quelques qualités. A mon plus grand bonheur, je découvrais, quelques jours après, que ce Grand Frère avait sauvegardé une partie de mes souvenirs, de ces visages et paysages que j’aimais tant. Instants de vie qui constituaient mon patrimoine vivant. Bien sûr, j’étais destiné à vivre au présent, à me projeter dans l’avenir. Il m’était pourtant si doux de revisiter tout ce que j’avais apprécié de cette vie, de ces désirs accomplis, de ces moments partagés. Tout présent était éphémère et déjà pierre de mon royaume éternel.

Enfin, fin de la pluie. A présent. Soleil au coeur de la nuit. Le Grand Chef, notre Roi Soleil se plaisait à régner sur ses sujets. Jour après jour, il rétrécissait l’espace de nos libertés. Sans Pass sanitaire, où pouvais-je encore aller ? Dans quelle rue ? Quel théâtre ? Que m’était-il encore permis de vivre ? Rouler sur l’autoroute, dépenser ce qu’il me restait dans un vaste supermarché ou contempler la nature ? Savourer simplement l’amitié. Les baisers de l’amour. Sa sagesse. Ses graines de folie. Ses grains de mots. Lire. Ecrire. Parler à une fleur. L’écouter. Elle avait tant de choses à me dire du bonheur, cette rose trémière à ma porte qui me souriait quand je rentrais. Fidèle réveil matinal d’une tendresse infinie. Entre les mains de ce bonheur inouï, hors du temps, oubliant mon réveil chinois, je déposais, silencieusement, ma vie.

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 19 septembre 2021

« A la quête du bonheur »

D’un QR Code périmé

 

J’avais l’air d’une cloche, l’air d’une cloche avec ma quête du bonheur quand j’ouvrais la page six du « Monde » ce mardi dix août. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat livrait son sixième rapport. Le premier volet comptait mille trois cents pages. Trente ans de collaboration entre scientifiques et politiques. Leur collaboration semblait peu efficace. Qui était au service de l’autre ? Qui prenait en considération la parole de son voisin? Trente années à éplucher chaque mot pour se mettre d’accord sur quoi ? D’accord sur la corde raide qu’un bourreau passerait, l’heure venue, à notre cou ?

L’été deux mille vingt et un nous donnait un avant-goût de ce qui nous pendait au nez. Les catastrophes se multipliaient, s’intensifiaient de tous côtés de la planète, et il était à présent vérifié que des petits hommes épris de la démence des grandeurs en était la cause. Je n’allais pas jusqu’à dire qu’ils étaient bons ces petits hommes. Ils avaient juste saccagé un magnifique jardin qui leur était offert, des roses et des épines, que déjà, ils lorgnaient les déserts de la Lune, de Mars ou de Vénus. D’adorables petits aventuriers destructeurs.

Je me regardais ce soir devant la glace. Je ne voulais plus leur ressembler à ces petits hommes maîtres de la Terre. Terre à terre. Je brisais ma glace. Des morceaux de lames. Je criais par delà les glaciers : « Je ne suis pas un QR Code, regardez-moi dans les larmes. Vous pouvez me sourire, me parler, m’embrasser, m’aimer si vous le désirez. Mon existence ne se résume pas à ces carrés que vous scannez parfaitement. Non, je n’irai plus mettre les mains dans la folie de votre jeu qui s’écroule, menteurs ».

Jeu de canicule. La plus torride que la Grèce n’avait jamais connue. Fonte accélérée de la calotte glaciaire au Groenland. Crues meurtrières en Allemage et en Belgique. Deux cent vingt quatre morts. La Russie s’enflammait. Las Vegas avait la fièvre. Le château de cartes tournait au drame. Des centaines de morts au Canada. Les éventails étaient dérisoires. Le Maroc transpirait. Cinquante degrés. L’Espagne la rivalisait. Qui avait cassé le bouton du radiateur? Même punition en Turquie. Déluge en Chine. Déluge en Inde. Déluge au Japon. Les morts s’additionnaient. Des lambeaux d’êtres. Le monde glissait sur les corps. Effet papillon. Un air d’apocalypse. Alors Noé disait vrai ? L’Arche n’était pas qu’un roman pour enfants ? Qui seraient les derniers vivants? Les âmes pures ? J’en doutais. On tuait bien des mères. Les innocentes trinquaient, emportées par le sang versé des petits hommes. Les oiseaux s’envolaient.

Il me restait l’amitié. La revue « Philosophie » y consacrait un numéro spécial. Cinq jours de festin, du jardin extraordinaire à l’île de Noirmoutier, les derniers repas, les derniers verres. « Attention, on tourne ! ». Immortaliser l’instant éphémère sur le bord d’une rivière pendant que d’autres escaladaient les falaises de leur chute. Lointains souvenirs sans frontière. Thé au jasmin, main délicate d’une serveuse. Baignade défendue. Route qui fendait l’océan, route de l’exode. Exil des âmes libres qui se perdaient pour mieux se retrouver. A quoi songeait le poète ? A l’utopie ? Ce lieu qui n’était, que lui seul pouvait habiter de ses désirs ?

Mon QR Code était périmé. J’avais épuisé mes droits de liberté. Soixante douze heures avec le vieux monde. Il me restait à vivre une nouvelle vie, affranchi des mensonges. Songes bien plus vrais, plus élevés, plus sincères. QR Code à la poubelle.

Belle nuit d’étoiles, toiles d’araignées scintillantes, tissant mes rêves.

Thierry Rousse

Mardi 17 août 2021

« A la quête du bonheur ».

Une vie sous contrôle

Vendredi six août deux mille vingt et un.  Je sortais en cette matinée de ma maison. Etrange sensation. Pour la première fois de ma vie, j’éprouvais la sensation de marcher dans un pays où la dictature venait d’être proclamée. Jusque là, la dictature d’une pensée unique était latente. Des lois passées en force habilement  durant l’été pendant que mes pensées étaient occupées à se détendre. Là, mes pensées étaient concentrées sur le verdict des Sages. La sentence était tombée sans aucun dialogue. Pass obligatoire. Je me dirigeais vers mon cinquième test PCR, je crois. J’avais pu obtenir un rendez-vous à dix heures à la Manufacture. Oui, je savais ce qu’on allait me dire. « Tu ne sais pas ce que c’est la dictature, tu ne l’as pas connue, tu serais déjà en prison ». C’est vrai, jusqu’à présent, je n’étais pas arrêté pour mes paroles oumes pensées. Je serais juste arrêté si je n’avais pas mon pass. « Désolé, monsieur, vous ne pouvez pas entrer ». Juste cela et ce « cela » n’était pas anodin. Pour la première fois de ma vie, les Sages me dictaient ce que je devais imposer à mon corps. Cela représentait bien plus que le fait de devoir passer une ceinture de sécurité. Cette loi visait mon propre corps, pour mon bien et pour le bien des autres. Qu’en savais-je réellement si c’était pour mon bien et pour le bien des autres ?

J’arrivais à mon arrêt. Un panneau publicitaire m’informait : « Aujourd’hui, 3500 personnes vont mourir sur la route ». En dessous, je pouvais voir la photographie de Yohan Blake prêt à s’élancer sur la piste, champion olympique du quatre fois cent mètres, champion du monde. Quel était le rapport? Je prenais le bus. Il aurait pu écraser un hérisson et se piquer. Les nuages noirs menaçants, à l’horizon, étaient toujours présents, toujours aussi pesants. Parvenu à ma Duchesse, je glissais de mon Busway à mon Tram. « Manufacture ». Une voix bienveillante me rappelait mon devoir: « Avant de descendre, assurez-vous de ne rien avoir oublié à bord ». Qu’avais-je oublié à bord? Mon étrange sensation de ce matin? Mes soucis ? Mes amours ? Mes désirs et mes rêves de liberté ? Des blouses blanches de la tête aux pieds m’accueillaient.  Où étais-je ? Dans une centrale nucléaire hautement radioactive ? « Mouchez-vous, lavez-vous les mains, baissez votre masque sous le nez, respirez, comptez un, deux, trois » et le tour était joué. La jolie blouse blanche avait introduit avec finesse sa coton-tige au fond de mon narine pour recueillir le subtil nectar. Je pouvais m’en aller habité de mon nouveau suspens. Serais-je positif ou négatif? Je positivais, vagabondant à travers les allées du jardin des Plantes. De drôles de bonhommes distrayaient mes pensées. un arroseur, un siesteur, un passeur, un ratisseur… Tout semblait paisible, hormis un hélicoptère qui ne cessait de tournoyer au-dessus de ma tête. Je me remettais de mon cauchemar. La France était encore un pays libre. Une lecture au coeur du jardin s’offrait à moi. Les « Heures d’été » sous un ciel automnal.  Des barrières encerclaient la lectrice et le public. Je m’apprêtais à pénétrer dans cette clairière en plein air sous haute sécurité.  » -Vous pouvez me le présenter?  » me demandait une seconde charmante jeune femme dans une combinaison d’astronaute. « -Quoi? »  lui répondais-je. « -Votre pass ! « . Cela paraissait déjà banal, une habitude, un réflexe. Je sortais un vieux pass de mon smartphone, le pass du mardi qui fit l’affaire. J’étais autorisé à entrer dans l’espace protégé d’un jardin  écouter une lectrice. Quelle chance ! Je rendais grâce aux Sages pour leur bonté. Citoyen soumis à la nouvelle démocratie. Je n’en demeurais pas moins pensif et profondément mal à l’aise. J’écoutais des extraits de textes de Christian Bobin, de Wajdi Mouawad lus par la comédienne Romane Pénet, des textes qui évoquaient des souvenirs d’enfance, des textes qui pouvaient évoquer la liberté ou le désir de liberté dans l’espace d’un jardin, où, pour être autorisé à écouter ces textes, je devais me soumettre à l’obligation des Sages. La culture,  logeait, dès lors, dans une belle cage à oiseaux. Le paradoxe était là. Je ne me sentais plus à ma place, plus en cohérence avec moi-même et le sens de tout « cela », de tous ces mots. J’attendais la fin.

Un soleil avait été brisé. L’arc-en-ciel le consolait. La résistance se formait. Je la rejoignais. Je sentais déjà les flèches des reproches me transpercer.

 

Thierry Rousse

Samedi 7 août 2021

« A la quête du bonheur »

Tour de passe passe partout le vol d’un oiseau

 

Les « Sages du Conseil constitutionnel » avaient validé « en partie » le projet de loi sur l’extension du pass sanitaire. « En partie ». Quelle était l’autre partie ? De quoi tenaient-ils leur sagesse, ces « Sages du Conseil institutionnel » ? De ces secrets de couloirs? De ces tours habiles de magiciens ? De cette autre partie inconnue qui se jouait dans mon dos ? Paris, ville de tous les paris, ne me faisait plus, depuis longtemps, rire. Je l’avais quittée pour l’océan et le ciel.

En France, l’étoile sanitaire serait obligatoire quasiment partout, le neuf août deux mille vingt et un, partout où je pouvais me retrouver avec d’autres gens, m’amuser, manger, boire un verre, écouter un concert, voir un spectacle… Et tout cela pour mon bien. Tour de passe passe adroit des Sages-hommes qui enfantaient une nouvelle ère de soumission obligatoire. Répétition maladroite des erreurs de l’Histoire.

Les vaccins déjà s’écoulaient sur les places devant les églises comme des petits pains. Ces petits pains croustillants qui m’empêchaient de contracter une forme grave de la maladie, Ces petits pains dorés tout mignons qui ne m’empêchaient pas d’attraper la maladie et de la transmettre à mon voisin. La maladie. Maladie d’amour et de toujours. Goût amer de ces petits pains soldés. Etaient-ils vraiment bons pour mes intestins ? Pouvais-je seulement en parler à mon médecin ? Ou au boulanger qui les avait fabriqués ? Quel boulanger ? Pas de réponse. Mon médecin était une femme en vacances injoignable à cette heure décisive.

Fatalité d’une histoire dont la fin était déjà écrite. Mes maux de tête s’agitaient dans leur bocal. Résister, combien de temps encore ? Ces coton-tiges finissaient par remonter dans mes naseaux de cheval errant, troublant mes pensées, les épuisant. Il me restait pour m’en délivrer qu’une piqûre, le vaccin du paradis injecté dans mes veines. Pénétrer le museau incliné dans le troupeau des Sages-hommes. La peur avait raison de tout. Mon cheval serait apprivoisé, une selle sur les reins, l’air de rien. Les harnais le protégeaient de sa chute finale.

Je le savais. Mes mots, mes faits et gestes étaient contrôlés dans ce drôle de cirque. Ce que je gagnais, ce que je dépensais, ce que j’écrivais, à quelles offres d’emploi je répondais, qui je connaissais, qui j’aimais. Toutes les cartes, de ma carte vitale à ma carte bancaire, tous les réseaux sociaux de mon ordinateur à mon smartphone étaient des toiles d’araignées qui m’encerclaient. Je n’étais pas dupe, je n’étais qu’une mouche. Big Brother m’épiait et je devais marcher dans son rang d’or pillé et d’argent factice bien sagement. La liberté m’était offerte sous la condition de m’y soumettre.

J’étais soumis. Je le criais, je le placardais. Soumis. Enfant docile. Le robot souriait de sa victoire, tenant ma crinière. Je ne sortais plus guère de ma maison. Le temps passait. Je lisais. J’actualisais mes données. Je préparais mes nouvelles lettres de candidature. J’étais le nouveau-né sage obéissant. Tous mes mots-clés étaient décryptés et je recevais aussitôt sur mon fil d’actualités une tonne d’informations sur les maisons, les emplois, les enfants, la sagesse, l’obéissance, la naissance. Je m’amusais à perdre les robots dans le labyrinthe de mes mots codés, croisés, enlacés. Ce mot qui en cachait un autre. Souvenirs de mes camarades résistants sous l’occupation. Je préparais mon exode. Mon exil à travers des plaines sauvages. Ma valise serait remplie de mes rêves. Ainsi, je quitterais la Terre comme j’y étais entré. Invisible à l’oeil nu. Indésirable du monde de chocs.

Voyage sur la ligne verte.

A Nantes, devant l’Opéra Graslin, nous étions conviés à tourner en rond ou à observer les autres tourner en rond. Une paire de patins à roulettes était gentiment offerte à la passante ou au passant pour un voyage sans fin. Tout tournait bien rond. Aucune issue possible. Cercle vicieux. Je n’avais plus faim de ces petits pains rassis. La pluie dégringolait, redoublait de puissance. La canicule n’était pas loin. La fin du monde approchait à grands pas. J’affrontais, seul, ce désastre titanesque. Inspiration de ces architectes contemporains. J’aurais préféré un jardin, une source où nous rencontrer, puiser des mots, des caresses et des baisers devant ce monumental théâtre aux colonnes antiques, inaccessible et fermé à double tours. Juste la maison d’un paysan au bord d’une rivière. Et des oiseaux. Et toi, et le vent. Aucun train, que la vie qui nous regarderait. Correspondance des sentiments et des souffrances dissimulées. Désirs inavoués de deux oiseaux sur un toit.

Je me taisais maintenant. Silence de la solitude et du temps. La pluie avait cessé. La nuit se vêtissait de sa plus belle robe.

« Où es-tu ? Quelle a été ton existence paisible… » (*)

Thierry Rousse

Nantes, Jeudi 5 août 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Francis Jammes, « Elégie onzième » in « Le deuil des primevères », Poésie / Gallimard.

Le livre d’un arbre

 

De nouveau, il avait plu. Ces gouttes d’eau cognant à ma vitre me réveillaient doucement. Il y avait quelque chose de plaisant à entendre la pluie, une chose tendre qui m’invitait à rester sous ma couette blanche. Un message sans doute des anges. Une chose lointaine. Fallait bien que toute cette eau évaporée par les fortes chaleurs d’ailleurs retombent quelque part ici. Le ciel ne gardait pas ses larmes, il les laissait couler pour guérir.

La pluie me retenait à la maison. La pluie était le repos de mon corps, le repaire de mon âme. Pour sa grâce fragile, je savais l’apprécier, l’entourer de ma chaleur, l’embrasser avec tant de délicatesse. Je la regardais tomber sans la toucher. Le ciel était blanc. La végétation exaltait. J’écoutais les petits bruits qui jaillissaient du silence. Les plus infimes choses prenaient leur importance, me racontaient une histoire. Leur histoire. J’imaginais son passé et son avenir. Le bruit d’une moto ou le bruit d’un marteau. Le bruit des pas sur un plancher. Un ronronnement continu. Quel était donc ce bruit ? Sa voix au bout du fil? Ou des ondes qui nous traversaient chaque jour? Peut-être tout simplement le moteur de mon réfrigérateur ? Ces bruits étaient fort étranges. Le suspens s’installait dans ma chaumière. Ma pipe menait l’enquête. Des volutes de questions. Deux corps enlacés derrière une cloison. Un amour nu confiné. Les moindres bruits menaient à des rêves au-moins exquis, aux jeux de doigts et de pouce-pouce, aux jeux de mots noctambules de savon. Plus rien n’existait de la société, tout s’était arrêté. Le balancier d’une horloge suspendue à mes pieds de nez à nez de clowneries aux éclaboussures de soi-même pas peureux et heureux. Il était temps de sortir. Le miroir d’eau des drapeaux blancs au pied du château de ma Duchesse. L’un m’était offert pour marcher jusqu’à la Place Royale. Marcher contre cette étoile sanitaire que les Chefs, dès lors, nous obligeaient à porter. L’étoile sanitaire qui nous donnait accès maintenant aux concerts, aux spectacles, aux restaurants, aux cafés, et, bientôt, à la vie. Je quittais mon drapeau blanc pour un nuage blanc quand j’appris qu’on assimilait les drapeaux blancs aux militants d’extrême droite. Triste époque des rumeurs, d’un monde qui ne cessait de se diviser, de s’affronter, de se déchirer et d’imposer ses règles, balloté entre des extrêmes qui se rejoignaient.

Une nouvelle fois, je devais reporter mon atelier « Fabriquer son théâtre miniature ». La Guinguette Rêver Sèvre était déserte. Ce marécage automnal m’invitait aussi à reporter ma vie. Après m’être enfilé une baguette entière de chocolat à tartiner dans le corps, je me blotissais dans les lettres qu’un poète avait écrit pour sa muse. Sylvain Bernel jouait avec ses lèvres, deux langues qui se confondaient. De la française à l’anglaise, de l’anglaise à la française. « Mirror Effect, Effet Miroir ». Qu’il était beau de lui offrir ses mots. Emma. Je ne comprenais pas tout à ta poésie et mon incompréhension attisait mon désir de te revoir, savourer ta musique et tes images, tout ce que je pouvais entendre et voir, chaque jour, nouveau, te découvrir te dévoiler à mon coeur. Sensuelle et platonique à la fois.

La technique, de l’autre côté, se rebellait contre moi. Je m’avouais vaincu. Le livre me consolait de ses pages. Passage de l’autre côté du miroir.

Je songeais au castor, seul, au bout de cet arbre couché, déraciné, couché sur le socle d’une tour disparue, la porte Sauvetout. Où irait-il à présent, le castor isolé, depuis que sa rivière était enfouie sous les pavés? Qui le sauverait ? Nous ne pouvions que nous sauver par nous-mêmes. Cela n’avait aucun rapport. Jadis. Le livre d’un arbre. Esclave des hommes. Parenthèse d’amour.

Il me restait la légèreté d’une nuit étoilée de désirs matinaux.

« Tout devient limpide

Le café du jardin

Un soleil dans une tasse

Sur les planches du matin » (*)

Thierry Rousse

Mercredi 4 août 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Sylvain Bernel « Mirror Effect, Effet Miroir »

La pluie d’Amphitrite

Il pleuvait. Encore. Il pleuvait au milieu de l’été. Sur Nantes comme ailleurs. Des larmes de ciel bleu. Chaleur écrasante. Vent. Nuages noirs. Pluie. Fraîcheur. Nuages gris. Nuages blancs. Nuit. Quelques bribes de nouvelles apparues sur l’écran de mon smartphone. L’actualité me rattrapait. Je courrais. Pas suffisamment vite peut-être. Dans d’autres contrées, des forêts  s’embrasaient du fait de la canicule. Les mots m’encerclaient. On me parlait de la Grèce, de la Tunisie, avant, du Canada. Et encore ? Deux villes où il n’était plus possible de vivre. J’avais oublié leurs noms. L’oubli. Fallait-il oublier?  Tout oublier? Ou tout retenir ? Le monde me submergeait, couche après couche, entre le réchauffement climatique, l’arrivée du Delta Plane, les menaces terroristes, le « Pass » sanitaire, ce protocole dernier-né, dernier cri, nous contraignant peu à peu à nous faire piquer. La couche était pleine. Le bébé hurlait. Qui voulait bien s’occuper de lui ? Quelle sage-femme ? Quel sage-homme ? Un dieu peut-être ? Ou, une déesse ?

J’enquêtais sur les bienfaits et les dangers du vaccin. Les témoignages abondaient dans un sens comme dans un autre. J’étais stupéfait de constater avec quelle virulence, quel mépris, certains vaccinés convaincus par les bienfaits du vaccin s’en prenaient aux hésitants ou aux convaincus des dangers de celui-ci. Stupéfaction et tristesse au milieu d’un champ de guerre. Je regardais la Lune. La Lune à portée de mes mains, la Lune à portée de mon coeur avait toujours au fond de mes yeux ce charme secret, la tendresse d’une caresse que je désirais atteindre. Sitôt sur la Lune à la vitesse Lumière des déceptions et des désillusions, je contemplais avec nostalgie la Terre. Qu’elle était belle cette Terre, abondante de vie, qu’en avons-nous fait ? Je retournais sur ce globe, l’orange bleue des poétesses. Quel était mon rôle de père ? Quelle était ma mission? Petit être éphémère entre deux roses trémières qui pouvait à tout instant disparaître comme un escargot écrasé sous le poids de l’ignorance ?

Marcher encore un pied devant l’autre sur la ligne verte des hommes et des femmes. La revue « Kaizen » me redonnait quelque espoir en l’humanité. Des femmes et des hommes. Des femmes. Des mères. Car, il nous fallait bien encore un peu d’espoir pour nous enlacer et enfanter la vie. Un peu d’espoir sous la pluie qui se brisait sur ma vitre. Et encore ?

Hugo Schiavi sur la Place Royale soudait la ruine, vestiges d’une civilisation victime de ses désirs inassouvis, infinis. Une civilisation rouillée de sa croissance industrielle qui se fracassait contre les corps robustes et sveltes des dieux. Amphitrite, déesse de la mer, avait le dernier mot de ces marins perdus, ivres de conquête, de pouvoir et d’argent. L’eau reprenait sa place. L’eau, mère de la vie, traversait ces lambeaux de ferraille.

Je marchais sur une plage et je me sentais revivre. Un ciel bleu de douceurs. Caresses des grains de sable et de l’écume des vagues. J’en oubliais la laideur du béton pour ne songer qu’à tes yeux. Un reflet d’étoiles. Je tombais d’envies. Une envie de glaces. Regarder la beauté. La savourer. La beauté pure d’une goutte d’eau. L’étoile de mer me souriait. « Pour toi, je suis tombée du ciel ». Déluge d’amour. Port de deux mains réunies.

Il pleuvait. Il pleuvait. Tout ce que la Terre avait à nous dire. « Homme fou, qu’as-tu fait de ce que je t’ai offert, l’alliance de mon baiser? ». J’embrassais les pieds nus d’Amphitrite. « Pardonne-moi, ô, ma mer, toi qui m’as bercé, dorloté, nourri, abreuvé de ton sein délicieux ! ».

Un nouveau test PCR pour être en règle, un goût amer, en règle avec une société dérèglée. Je retournais à mes rêves, la Lune, qui fut jadis une Terre.

Voyage dans le lit d’Amphitrite. Retour aux songes antiques.

Et encore?

A la quête du bonheur…

 

Thierry Rousse

Nantes, mardi 3 août 2021

« A la quête du bonheur »

L’été d’un sourire

 

L’été. J’y étais. Au milieu de l’été. Mes pieds. Ce temps aurait pu être l’été. Un trente et un juillet deux mille vingt et un. Mes yeux. Un goût d’été. Une plage de vacances. Mes lèvres. Tout lâcher et vivre. Mes mains. Vivre et aimer. Mes doigts. Aimer et être libre. Etre libre et voyager. Mon corps. Voyager et danser. Une danse irlandaise ou une tarentelle. Ou une samba. Ou une danse infinie. Une danse que je ne connaissais pas.

Et pourtant ce temps n’avait rien d’un été, ce ciel bleu qui avait peine à durer. Tantôt ce vent de mer, tantôt ce vent de terre agitaient mon âme en friche. De gros nuages noirs pointaient leur nez chargé de larmes entre mes dunes. La menace revenait. Pesante. Flottant au-dessus de ma tête. Quelques dinosaures au-dessus des pins. Sous son nouveau visage. Cette menace au nom enchanteur, Delta. Plane mon âme. Des voix m’annonçaient, chaque heure, une nouvelle hausse des hospitalisations, une « épidémie qui gagnait du terrain ». Les Chefs démocratiques nous imposaient le pass sanitaire, l’arme décisive pour faire reculer l’ennemi. Je devais contrôler dès lors mon semblable ou être contrôlé par mon semblable. Mon semblable était devenu l’autre que je suspectais ou l’autre qui me suspectait. Distanciation sociale. Toi et moi. Nous nous susceptions l’un et l’autre d’être complices de l’ennemi. « Quel ennemi ? Tu le connais? – Non.  » . Plus aucun baiser, plus aucune caresse sur le champ de cette occupation. Chaque corps lentement mourait d’absence de tendresse, tombé dans les tranchées de la méfiance, de l’ignorance, l’indifférence. Il restait le plancher d’une guinguette pour espérer encore une rencontre. Ou un poème. Ou une forêt. Ou une rivière sauvage.

Je regardais mes semblables derrière cette grille. Mes semblables n’avaient pu entrer dans ce théâtre de verdure à Notre-Dame des Monts pour assister au concert d’Abel Chéret. Quelques uns de mes semblables étaient dépourvus du pass obligatoire. Rejetés. Exclus au festin. J’avais obtenu le mien après des heures d’attente, une file interminable devant un minable garage rempli de cartons. Entre deux cartons, une chaise et un coton-tige. Test PCR négatif. J’étais sauvé. Jusqu’à quand ? Sauvé pour quarante huit heures. Sauvé jusqu’au jour où je devrais accepter ce vaccin. Etre obligé. Etait-ce pour mon bien? Qui pouvait me certifier que ce vaccin était bon pour mon corps?

Qui ?

Je regardais l’océan. L’île d’Yeu. Je rêvais de retourner sur l’île d’Yeu. Les bateaux se croisaient au loin. Souvenirs d’une eau transparente. Il me restait mes souvenirs. Les souvenirs d’un temps libre. Je songeais aux êtres sur le fil de la vie. Ces êtres que des experts disaient condamnés. Ces êtres, pourtant, qui prenaient soin d’eux-mêmes, de leurs proches, des objets qui leur étaient chers. Ces êtres qui savouraient chaque instant du temps, chaque instant de vacances.

Je cherchais dans mon dictionnaire « Vacance : situation d’une charge, d’une place, d’un poste momentanément dépourvus de titulaire ».

Mon poste dans la société était vacant. Je retournais à l’existence universelle.

L’été, j’y étais.

J’avais été. J’avais aimé. J’avais été aimé. J’avais vécu. Je vivais maintenant sur le fil de la vie. J’avais tout à apprendre. Tout à apprendre d’un été. Un sourire. Rien qu’un sourire.

Thierry Rousse,

Nantes, samedi 31 juillet 2021

« A la quête du bonheur »